dimanche 11 janvier 2015

Pourquoi sommes-nous Charlie ?


Nous sommes issus de la Révolution Française, de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme et du Citoyen. Nous sommes issus des deux siècles d'histoire qui ont suivi.

Nous sommes issus de familles où l'on aime débattre, dans lesquelles, même si l'on n'est pas d'accord, on finit toujours par se réconcilier autour d'un bon verre ou d'un bon repas. 

Dans ma famille, il y avait ma grand-mère qui allait à la messe tous les dimanches et il y avait mon grand-père qui lisait le Canard enchaîné tous les mercredis. Mais mon grand-père, même s'il était un peu bouffeur de curés sur les bords, respectait évidemment la foi de sa femme. Mais, ma grand-mère, même si elle râlait un peu contre les mécréants et qu'elle n'aimait pas bien quand son mari entonnait du Georges Brassens, était très attachée à l'idéal social et démocrate, profondément laïque...

Nous avons acquis cette liberté d'opinion, d'expression, de pensée, au bout de très longs siècles de monarchie absolue. 

Il y a des gens qui l'ignorent et c'est notre mal. Je suis une éducatrice et je sais que mon devoir est d'expliquer cela. De transmettre cette longue histoire qui fait de nous ce que nous sommes.
Ces journaux satiriques sont là pour se moquer des puissants de notre monde, pour les désacraliser. Pour rappeler, inlassablement, que nous sommes tous humains, tous égaux face à la vie, face à la mort. Que même pape, que même banquier, que même président de la République, que même prophète, nous sommes tous confrontés aux mêmes incertitudes, à la même condition humaine : nous sommes toutes et tous confrontés à la vieillesse, à la déchéance, aux tentations, à la bêtise, à la maladie...Nous souvenir de cela, avec humour, surtout, non pas pour nous mortifier et pour désespérer, non, mais pour dédramatiser, pour désacraliser, pour brûler les idoles. Pour trouver la paix. Pour profiter de ce qui est beau, de ce qui est doux...

Les dessins de Wolinski vont me manquer : ces belles femmes qu'il aimait tant et qu'il croquait si bien était sans doute les héritières de celles de François Boucher

Les chroniques de Bernard Maris vont terriblement me manquer : il savait rendre l'économie accessible, il savait expliquer simplement la bourse et le CAC, il savait aussi faire des portraits des puissants, héritier des Caractères de La Bruyère.

Les dessins de Cabu, que j'ai découverts, comme beaucoup de gens de ma génération, chez Dorothée, étaient toujours plein de tendresse. Et j'ai lu souvent les chroniques du Beauf, dans le Canard, en éprouvant cette délicieuse impression d'interdit...La subversion était toujours tendre.

Les dessins d'Honoré, qui ressemblaient à des gravures du XIXe siècle, étaient toujours d'une grande beauté : des noirs et blanc splendides, des traits tellement assurés, géométriques, rassurants. Et une ironie qui nous poussait toujours à la réflexion, dans Charlie, mais pas seulement : dans Le Monde, Libé, Les Inrocks...

Charb était un résistant. Il avait le côté bravache des sales gosses. Ses dessins étaient de vraies caricatures, comme celles que font les collégiens sur leur cahier, pour se moquer du prof. Il a fait des tas de dessins pour se moquer des extrémismes. De tous les extrémismes, dans toutes les religions. Son message était celui de Voltaire : Ecrelinf ! Ecrasons l'infâme, les superstitions et le fanatisme.

Et tous les autres...Merci à eux et à bientôt...

Bref, c'est un peu de notre culture et de notre histoire que ces terroristes ignorants ont voulu tuer. A nous, désormais de continuer cela, de perpétrer cette tradition d'impertinence et de réflexion. 

Céline DURUPTHY